Elevage des vins rosés; quelles conditions de conservation pour maitriser l'évolution des vins?

Le 31 décembre 2015

La production mondiale de rosé représente 9.7% de la production totale de vin, part qui progresse depuis 2002 (+7.7%). La France, dont la production de vins rosés dépassaient les 6,5 millions d'hectolitres en 2010 est le premier producteur de vin rosé et est également le premier consommateur de vin rosé au monde (source: "Observatoire mondial des vins rosés" CIVP/France Agrimer- Agrex Consulting).
Les consommateurs apprécient le vin rosé pour sa fraicheur aromatique et sa couleur vive. La filière doit pouvoir offrir des produits répondant à ces critères, quel que soit le marché (local, national et international), avec une régularité dans le temps (notion de durée de vie des vins). Il est reconnu qu'à la fin des fermentations alcooliques et après les premiers soutirages, les vins rosés sont bien souvent à leur optimum aromatique. Les traitements œnologiques et les conditions de conservation auxquelles ils sont exposés jusqu'à la table du consommateur vont entrainer une évolution inexorable des arômes et de la couleur. Les étapes d'élevage, de conditionnement, de stockage et de distribution font intervenir plusieurs opérateurs. Ces différentes étapes, très variables, peuvent entraîner une dépréciation de la qualité et notamment l'oxydation des arômes et de la couleur.

Un groupe de travail national soutenu par France Agrimer et piloté par l'IFV

Dans ce contexte, un programme de recherche national sur les conditions d'élevage et de conservation des vins rosés, soutenu par France Agrimer et coordonné par l'IFV pôle National Rosé a donc été initié dès le millésime 2011. Le groupe de travail regroupe les bassins concernés par la production de vins rosés: Provence, Aquitaine, Beaujolais, Charente, Languedoc-Roussillon, Sud-Ouest, Val de Loire et Vallée du Rhône et associe différents partenaires (Centre du Rosé, ICV, IFV, Inter-Rhône et SICAREX Beaujolais).
 Au travers de ce groupe de travail national, quatre axes de recherche sont explorés : Incidence des conditions de conservation en vrac, incidence des facteurs pouvant jouer sur la conservation des vins après conditionnement, incidence du transport et incidence de l'emballage (cf. figure 1).
En Gironde, les premiers essais ont été mis en œuvre sur les millésimes 2011 et 2012 au Vinopôle de Bordeaux-Aquitaine en AOP Bordeaux rosé. La matière première étudiée est un rosé de cabernet franc issu de pressurage direct (cf. Tableau 1). Deux axes de recherche ont été étudiés lors de ces millésimes : l'impact des conditions de conservation des vins en vrac et l'incidence des facteurs pouvant jouer sur la conservation des vins après conditionnement (impact du SO2 et de la perméabilité de l'obturateur). Nous présenterons ici les résultats des essais sur l'impact des conditions de conservation des vins en vrac menés à l'IFV pôle Bordeaux - Aquitaine ainsi que quelques résultats globaux obtenus sur les 6 vins rosés de différentes régions.

Etude des conditions de conservation en vrac

Au cours du millésime 2011, différentes conditions de conservation en vrac ont été évaluées en croisant deux facteurs : la température et la teneur en SO2 libre. En 2012, les essais ont été élargis à d'autres facteurs : oxygène dissous et teneur en CO2 dissous (cf. Figure 2).    
Différents paramètres sont contrôlés : paramètres œnologiques mais également les SO2, CO2, oxygène dissous, caractéristiques colorimétriques… afin d'évaluer l'impact des différentes conditions d'essais sur ces paramètres spécifiques.
Concernant la couleur des vins rosés, il est important de rappeler qu'une partie de la couleur rouge est cachée par le SO2 libre. Ces deux grandeurs étant intimement liées, plus le niveau de SO2 libre est élevé, plus la couleur rouge est masquée. L'intensité colorante et la nuance apparentes peuvent donc être modifiées. C'est pourquoi, en complément des mesures spectophotométriques et colorimétriques réalisées sur le vin, la couleur rouge potentielle est également évaluée sur un vin désulfité par ajout d'éthanal.
L'impact organoleptique des différents paramètres étudiés est évalué par deux analyses sensorielles: la première par un jury de professionnels de la région de production et une seconde par un jury composé de dégustateurs entrainés par le Centre du Rosé à Vidauban. Les vins sont dégustés peu de temps après mise en bouteille puis à différentes étapes de leur conservation en bouteille.

Conditions d'essais

Quel que soit le millésime, les vins sont élevés en fût inox de 50L pour une durée de 6 mois. Les modalités à "température variable" sont stockées à différents endroits pendant tout cette période de manière à obtenir des fluctuations de températures. Ces conditions "miment" à échelle réduite les fluctuations de températures que l'on peut rencontrer en conditions de production. Les modalités "Température fixe" sont quant à elles maintenues à 12°C dans des piscines régulées.
Pour les modalités "Températures variables", la température des vins varient en fonction des conditions externes;
- En 2011, température moyenne de 14.5°C et amplitude de 6.4°C (de 10.1 à 17.5°C)
- En 2012, température moyenne de 14.6°C et amplitude de 12.5°C (de 5.5 à 18°C)
Les figures 3 et 4 représentent les relevés de température au cours de l'élevage pour les 2 millésimes d'essais.

Impact du régime thermique et de la couverture en SO2  sur…

… la couleur des vins

Le suivi de la couleur des vins a été évaluée tout au long de la conservation des vins en cuve (élevage) et ensuite au cours du stockage en bouteille (à 20°C) par des analyses spectrophotométriques (Do 420, 520 et 620 nm sous 1 cm) et par détermination des coordonnées L*a*b*.
Le L*a*b est un modèle de représentation des couleurs (figure 5). Il caractérise une couleur à l’aide d’un paramètre d’intensité correspondant à la luminance et de deux paramètres de chrominance qui décrivent la couleur. Il a été spécialement étudié pour que les distances calculées entre couleurs correspondent aux différences perçues par l’œil humain.

• La composante L* est la clarté qui va de 0 pour le noir à 100 pour le blanc ;
• La composante a* représente la gamme de l’axe rouge (valeur positive) à vert (valeur négative) en passant par le gris (o) ;
• La composante b* représente la gamme de l’axe jaune (valeur positive) à bleu (valeur négative) en passant par le gris (o).

Sur le millésime 2011, les résultats obtenus juste après mise en bouteille montrent un impact de la couverture en SO2 au cours de l'élevage sur ces différentes composantes. Les vins avec la plus faible couverture en SO2 (SO2 libre maintenu à 18 mg/L tout au long de l'élevage) apparaissent plus jaunes et moins rouges (couleur corrigée de l'effet du SO2) que les vins maintenus à 30 mg/l de SO2 libre. Après un an de stockage en bouteille, on observe un impact léger d'une température variable combinée à une faible couverture en SO2 au cours de l'élevage : cette modalité présente moins de couleur rouge que les autres modalités mais l'intensité de la couleur jaune est similaire pour l'ensemble des modalités. La figure 6 représente l'évolution de la couleur des vins des différentes modalités.
En  2012, la modalité avec la plus faible couverture en SO2 présente de nouveau la plus faible couleur rouge (corrigée de l'effet du SO2). L'impact du facteur température est dans ce cas un plus marqué, l'amplitude de température étant notamment plus importante en 2012 que lors du millésime 2011. En fin d'élevage, les modalités conservées à 12°C  présentent plus de nuances rouges et moins de nuances jaunes que les modalités ayant subies des variations de températures en cours d'élevage (cf. figure 7). Par ailleurs, un apport supplémentaire d'oxygène en cours d'élevage (+2mg/L d'oxygène dissous) ainsi qu'une moindre teneur en CO2 (différentiel de 400 mg/L en moyenne pour une teneur référence de 1300 mg/L) n'ont pas eu d'impact sur la couleur des vins obtenus pour la matière première étudiée et dans les conditions de ces essais (sulfitage maintenu à 30 mg/l, température stable de 12°C).

Le croisement d'un niveau de SO2 élevé avec un maintien du vin à une température basse (12°C) permet donc de limiter l'apparition de la couleur jaune et de préserver la couleur rouge.

Les résultats obtenus par l'ensemble des partenaires du groupe de travail à l'issue des 6 mois de stockage en vrac confirment l'impact de ces facteurs (cf. figures 8 et 9). Ainsi sur 6  matrices (Val de Loire, Bordeaux, Fronton, Languedoc, Beaujolais et Provence), 3 modalités sont jugées non significativement différentes entre elles sur la valeur de leur couleur jaune : seule l'association des conditions "SO2 élevé et Température stable et basse" assure un niveau de jaune significativement plus bas.
Pour la valeur de rouge corrigé du SO2, seules les deux modalités extrêmes se distinguent nettement l'une de l'autre.

La couleur rouge (désulfitée ou corrigée de l'effet du SO2) est à relier à la coloration des anthocyanes. Les phénomènes d’oxydation peuvent donc conduire à une diminution de la couleur rouge (a* désulfitée). Un régime thermique stable, même s’il  réduit l'évolution de la couleur (gain de jaune, perte de rouge) pendant le stockage ne permet pas de compenser totalement les phénomènes induits par une faible couverture en SO2 libre.

… le profil aromatique des vins

Sur l'ensemble des vins traités par le groupe de travail, l'effet de la couverture en SO2 n'est pas significatif. Par contre, l'impact de la température de stockage sur le maintien de la teneur en acétate d'Isoamyle est retrouvé. Les températures fraîches et stables préservent cet arôme et par extension les composés fermentaires. La teneur en TDN (1,1,6-triméthyl-1,2-dihydronaphtalène), marqueur d'évolution et de vieillissement, a pu être étudiée. Elle montre là encore un effet significatif du régime thermique et l'absence d'impact net de la couverture en SO2.
L'impact sur la teneur en composés soufrés positifs n'a été caractérisé que sur un Rosé de syrah languedocienne et un vin de Provence. Le maintien d'un niveau élevé de SO2 libre est favorable aux mercaptohexanol et son acétate, caractéristiques des odeurs d'agrumes et de fruits exotiques.

…le profil organoleptique des vins

Pour les essais mis en œuvre en Gironde sur le millésime 2011, les conditions extrêmes de  conservation n'ont pas d'impact significatif lors de la dégustation en vins jeunes. Il s'avère cependant qu'un maintien à température fixe (12°C) couplée à une forte couverture en SO2 permet de conserver la qualité olfactive des vins dans le temps. Ces vins présentent des notes plus florales, plus de sucrosité et d'harmonie en bouche. A l'inverse, un maintien à température variable et SO2 bas apporte plus d'amertume et des notes de réduction plus marquées que les autres conditions expérimentales.

Les résultats de la dégustation en vins jeunes des essais 2012 ne permettent pas de dégager de tendance. Par contre, après un an de conservation en bouteilles, les vins sont jugés significativement  différents au niveau de la note florale; le vin issu de la modalité maintenue à température fixe (12°C) couplée à une forte couverture en SO2  s'avère plus riches en notes florales que les autres modalités.

Pour résumer

Les résultats de 2011 et 2012 sont concordants; un élevage en maintenant des températures fraiches et une couverture suffisante en SO2 permettent de prolonger la durée de vie des vins en bouteille.
Les travaux conduits dans le cadre du groupe de travail national montrent également l'intérêt de maintenir les vins à une température fraîche et stable pour réduire l'ampleur des phénomènes d'évolution. Cependant, des conditions thermiques stables ne suffisent pas à compenser totalement les évolutions liées à une couverture en SO2 libre insuffisante. Le facteur SO2 libre apparaît comme l'élément déterminant dans la réduction de l'évolution des vins pendant le stockage en cuve.
Les résultats de l'ensemble des essais du groupe national montrent que le croisement d'un niveau de SO2 élevé avec un maintien du vin à une température basse (12°C) est la condition permettant de limiter l'apparition de la couleur jaune et de préserver la couleur rouge des vins rosés. Les vins rosés gardent ainsi leurs qualités initiales plus longtemps.